Présentation du colloque
Employée dans divers sens et pour divers objets et sujets, la notion d’« élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP) » apparaît comme une catégorie « floue »[1], extensive, voire « fourre-tout ». Elle a émergé dans le cadre de la mise en œuvre d’une éducation inclusive, qui est devenue une priorité pour de nombreux États membres de l’Union Européenne[2]. Cette éducation est soutenue par la Commission européenne et promue conjointement par l’EADSNE et l’UNESCO.
La littérature scientifique, et notamment sociologique et psychosociologique, montre que cette notion concerne de nombreux élèves inscrits dans des problématiques éducatives variées (« Dys », « EIP », « EANA », etc.). Ils partageraient en commun le fait d’être « considérés comme en écart par rapport à la norme scolaire et nécessitant un accompagnement spécifique pour réussir à l’école »[3]. Si la catégorie « EBEP » concerne avant tout les élèves handicapés, en difficultés scolaires ou cognitives, allophones ou encore en décrochage, elle peut aussi désigner des situations d’excellence pour certains élèves de l’éducation prioritaire[4]. Si elle renvoie à des logiques d’insertion scolaire et sociale[5], elle peut également relever d’une logique de distinction[6].
Ainsi assistons-nous à une multiplication de nouvelles notions et/ou concepts gravitant autour des « EBEP » (« nouveaux besoins particuliers », « inclusion », « accessibilité », « élèves à haut potentiel ou « intellectuellement précoces », etc.), qui sont autant d’injonctions institutionnelles dans le contexte de la mise en place de l’« école inclusive ». Ces catégories se traduisent, semble-t-il, par la démultiplication de dispositifs. Une partie des travaux sur la question souligne les effets ambivalents que peuvent produire ces processus de catégorisation par les pouvoirs publics sur la différenciation sociale des élèves mais aussi sur tout un ensemble d’autres acteurs. C’est le cas des professionnels de l’éducation, notamment des enseignants[7] mais pas seulement, dans la mesure où l’on assiste à une intensification de remédiations socio-éducative, psychologique, paramédicale ou encore médicale qui participent à un processus général d’externalisation des difficultés scolaires[8].
Ce colloque sera un lieu privilégié pour prendre de la hauteur sur la production, la diffusion et les effets de l’usage de ces catégories. Comment celles-ci sont-elles devenues des catégories d’action publique ? À travers quel travail institutionnel ? Quels enjeux symboliques, sociaux mais aussi concrets posent-elles aux professionnels de l’éducation qui doivent s’en saisir, ainsi qu’aux familles des élèves concernés ? Qu’est-ce qu’elles nous disent du système actuel d’enseignement ? Que veut dire l’ « inclusion » dans une école qui demeure ségréguée par bien des aspects ? La multiplication des notions actuelles relayées souvent par le discours institutionnel participe à la construction de sous-territoires très spécifiques déployant un vocabulaire hyperspécialisé. Par conséquent, un autre objectif du colloque sera de (re)construire du lien entre différents territoires et champs de recherche qui peuvent parfois être pensés isolément (« élèves DYS » vs « élèves à haut potentiel » par exemple). Au-delà, il peut être intéressant de se demander dans quelle mesure et comment les « EBEP » s’inscrivent dans la stratification scolaire et sociale, et comment cette notion s’articule à celles d’inégalités, de trajectoire et d’« intégration » scolaires. Au total, notre colloque visera ainsi à éprouver les schèmes d’interprétation des problématiques éducatives dans le contexte de la mise en place d’une « école inclusive ».
Seize personnalités scientifiques, reconnues comme expertes de ce champ, sont invitées afin de s’interroger sur ces catégories. Le colloque sera structuré en 5 axes:
1- La genèse de la catégorie EBEP comme catégorie d’action publique;
2- Une catégorie au service des élèves? Entre idéal philosophique et réalité de terrain;
3- Le besoin éducatif particulier, entre familles et école;
4- Élèves et stratification sociale
5- Les effets de la catégorie EBEP sur le travail des professionnels de l’éducation;
Notes :
1 D. Ruffin, J.-P. Payet, « À quoi sert le besoin éducatif particulier ? Dénormativité en tension dans l’école inclusive », Agora, n°87, vol. 1, 2021, pp. 65-80.
2 Dont la France. Citons notamment la loi du 11 février 2005 sur le handicap à ce sujet.
3 R. Cornand, A. Pavie, A. Richard-Bossez, « L’introduction de l’excellence en éducation prioritaire. La fabrique
d’un nouveau besoin éducatif? », Agora, n°87, vol.1, 2021, pp. 81-94, p.81.
4 Ibid.
5 Par exemple : J. Zaffran, « Être élève handicapé à l’école ordinaire : l’épreuve biographique de l’inclusion
scolaire », Le sujet dans la cité, 2015/2, n°6, pp.71-80 ; E. Douat, « Remarques sur la scolarisation des
handicapés en milieu spécialisé. Le cas des jeunes aveugles et malvoyants, Savoir/Agir, 2019/1, n°47, pp.63-71 ;
M. Armagnague et A. Boulin, « Mobiliser en classe la « langue d’origine » des élèves primo-migrants : des effets
ambivalents », Agora débats/jeunesses, 2021/3, n°89, pp.7-21.
6 R. Cornand, A. Pavie, A. Richard-Bossez, op. cit.
7 Par exemple : S. Broccolochi, S. Garcia, « « On n’a pas le temps d’aider les élèves en difficulté ! »
Alourdissement du travail des professeurs des écoles et processus de tri des élèves », Sociétés contemporaines,
2021/3, n°123, p.51-77.
8 M. Woollven, « Diagnostiquer les difficultés scolaires. Étude des outils et des processus diagnostiques de la
dyslexie en France et au Royaume-Uni », Sociologie, 2021/3 (Vol. 12), pp. 285-302 ; M. Millet et J.-C. Croizet,
L’École des incapables ? La maternelle, un apprentissage de la domination, Paris, La Dispute, 2008 ; S. Morel, La
médicalisation de l’échec scolaire, Paris, La Dispute, 2014.
Bibliographie indicative
ARMAGNAGUE Maïtena, BOULIN Audrey, « Mobiliser en classe la « langue d’origine » des élèves primo-migrants : des effets ambivalents », Agora débats/jeunesses, 2021/3 (N° 89), p. 7-21.
BODIN Romuald, L’institution du handicap : esquisse pour une théorie sociologique du handicap, Paris, la Dispute, 2018.
BOSSARD Suzie, Précariat et rapports sociaux dans les métiers de service aux personnes : les auxiliaires de vie scolaire (AVS) dans l’Education Nationale, thèse de sociologie soutenue à Lille, 08-10-2015.
BROCCOLICHI Sylvain, GARCIA Sandrine, « « On n’a pas le temps d’aider les élèves en difficulté ! ». Alourdissement du travail des professeurs des écoles et processus de tri des élèves », Sociétés contemporaines, 2021/3 (N° 123), p. 51-77.
CORNAND Renaud, PAVIE Alice, RICHARD-BOSSEZ Ariane, « L’introduction de l’« excellence » en éducation prioritaire. La fabrique d’un nouveau besoin éducatif ? », Agora débats/jeunesses, 2021/1 (N° 87), p. 81-94.
CROIZET Jean-Claude et MILLET Mathias, L’École des incapables ? La maternelle, un apprentissage de la domination, Paris, La Dispute, 2008
DOUAT Étienne, « Remarques sur la scolarisation des handicapés en milieu spécialisé. Le cas des jeunes aveugles et malvoyants, Savoir/Agir, 2019/1, n°47, pp.63-71
DUPONT Hugo, Déségrégation et accompagnement total, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2012.
EBERSOLD Serge, Éducation inclusive : privilège ou droit ? Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2017.
GARCIA Sandrine, À l’école des dyslexiques. Naturaliser ou combattre l’échec scolaire ? Paris, La Découverte, 2013.
GASPARINI Rachel, « Normes scolaires et normes professionnelles à l’épreuve des troubles du comportement ? », Recherches en éducation, 2019, pp. 38-49, n°36.
KATZ Serge, LEGENDRE Florence, CONNAN Pierre-Yves et al., « Ce que font les « besoins éducatifs particuliers » aux professeurs des écoles. L’extension du domaine du handicap comme remise en cause de la professionnalité enseignante », Agora débats/jeunesses, 2021/1 (N° 87), p. 95-111.
MOREL Stanislas, « La cause de mon enfant. Mobilisations individuelles des parents d’enfants en échec scolaire précoce », Politix, vol. 25, no 99, 2012.
MOREL Stanislas, La médicalisation de l’échec scolaire, Paris, La Dispute, 2014.
RUFIN Diane, PAYET Jean-Paul, « À quoi sert le besoin éducatif particulier ? Dénormativité et hypernormativité en tension dans l’école inclusive », Agora débats/jeunesses, 2021/1 (N° 87), p. 65-80.
SICOT François, « Intégration scolaire : le handicap socio-culturel a-t-il disparu ? », Revue française des affaires sociales, 2, 2005.
WOOLLVEN Marianne, L’orthophonie et les troubles du langage écrit : une profession de santé face à l’école, Revue française de pédagogie, 2015, 1, n°192.
WOOLLVEN Marianne, « Diagnostiquer les difficultés scolaires. Étude des outils et des processus diagnostiques de la dyslexie en France et au Royaume-Uni », Sociologie, 2021/3 (Vol. 12), pp. 285-302.
ZAFFRAN Joël, « Être élève handicapé à l’école ordinaire : l’épreuve biographique de l’inclusion scolaire », Le sujet dans la cité, 2015/2, n°6, pp.71-80 .